Par Benoît Rittaud.
(et le jury du Climathon)
France Télévisions met décidément le paquet pour truster les plus hautes distinctions du Climathon. Dans la foulée de la mise à pied de Philippe Verdier par France 2 pour pensée climatiquement déviante (rappel : la pétition contre cette censure de la télévision d’état est ici), c’est France 5, la petite sœurette intello, qui nous a gratifiés d’un morceau d’anthologie au titre parfaitement évocateur : « Climato-sceptiques : la guerre du climat ». Un documentaire qui foule sereinement aux pieds l’éthique journalistique la plus élémentaire n’hésite pas à employer les grands moyens pour faire comprendre au bon peuple ce qu’il doit penser, naviguant aux confins surréalistes de l’idéologie militante et de l’ignorance scientifique la plus crasse habilement entre morale et science en toute impartialité. Ce bijou de propagande s’arroge sans contestation possible le titre de vainqueur de la semaine 43 du Climathon.
Les auteurs du documentaire doivent d’abord être félicités pour le respect de la forme : quelques minutes sur les Cataclysmes pour rappeler la Terrible Réalité, puis l’essentiel du documentaire sur l’Enquête fouillée et courageuse. Toutes les bonnes pratiques du genre y sont mises en œuvre. Le refus des Méchants de répondre aux Courageux Journalistes est opportunément mis en scène. Le vocabulaire est au rendez-vous pour dénoncer les Coupables : « soldats du déni », « fauteurs de trouble », « négateurs du réchauffement », « président Bush », « philosophie ultra-libérale », « des milliardaires qui ont fait fortune dans la chimie du pétrole », « pieuvre », « Tea Party », « négationnistes », « Fox News ». De douces musiques illustrent à point nommé les propos des Gentils (scientifiques indépendants ou défenseurs des droits ancestraux). Enfin, l’Autorité est respectée avec des interviews de Laurent Fabius, du Commandeur des Croyants parlant « d’arme de destruction massive » à propos du climat et même de Yann Arthus-Bertrand, dénonçant notre monde corrompu : « Notre civilisation est basée sur les échanges, sur le business et sur la croissance. »
Dans un documentaire français, il était impossible de ne pas s’étendre sur l’infâme Claude Allègre (de la 4e à la 10e minute), ni sur l’exemple stupide et réfuté emblématique de l’immeuble Le Signal en Gironde, menacé d’effondrement par le Chaos Climatique. À part ça, c’est outre-Atlantique que l’action se déroule pendant 36 des 52 minutes. Certes, le climatonégationnisme français a partiellement disparu des médias depuis le retrait du Grand Satan Claude Allègre, toutefois le jury du Climathon rappelle tout de même aux compétiteurs que quelques démons de second ordre résistent encore et toujours à l’envahisseur, et qu’ils doivent être combattus avec détermination.
Ce pensum remarquable documentaire est donc l’occasion de croiser quelques compétiteurs chevronnés du Climathon tels que Yann Arthus-Bertrand, et même le Commandeur des Croyants en personne, toujours dans la mesure, avec son sens inné de la formule : pour Nicolas Hulot en effet, le climat n’est autre qu’une « arme de destruction massive », « une bombe silencieuse, à mèche courte ». Le sens de la formule, tout est là.
Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue qui appointe au GIEC, pousse la cocasserie jusqu’à regretter que Claude Allègre, qui n’est pas un « Spécialiste du Climat » rappelons-le, ait empêché en France la tenue d’un vrai « débat scientifique ». Un débat sans contradicteur pour constater « un fait scientifique avéré », effectivement, cela aurait été plus simple. Il est heureusement rappelé, avec la subtilité qui est la marque de fabrique de ce documentaire, que nous avons affaire à la vieille lutte « science contre croyance », menée par des « soldats du déni ».
Comme de juste, la confusion entre les problématiques environnementales et sanitaires est savamment entretenue avec le réchauffement climatique. L’érosion du littoral à Soulac-sur-Mer, c’est le Réchauffement : qu’on se le dise.
Le point d’orgue de ce docu-propagande ? La parole donnée à une sympathique activiste amérindienne (il n’est pas précisé s’il s’agit d’une spécialiste du climat), qui considère sa tribu comme « victime des pollutions à répétition de l’homme blanc ». Voilà de quoi mettre du baume au cœur de Nadine Morano.
Les accessits de la semaine
En ces dernières semaines de Climathon, la télévision d’État publique semble vouloir tuer la compétition en multipliant les initiatives. Ainsi, depuis quelques jours, le jury a découvert avec ravissement des « programmes courts » qui nous engagent à la Bonne Moralité Climatique aux heures de grande écoute. Ces spots sont promus par l’association Coalition Climat 21 dont le site nous apprend que :
« Demain, selon un large consensus des scientifiques, notre planète pourrait faire face à des scénarios effrayants : le quasi arrêt de la circulation des eaux océaniques dans l’Atlantique, la fonte d’une large partie du Groenland et de l’Antarctique et l’élévation massive du niveau de la mer. »
Le jury du Climathon est sensible à l’usage du conditionnel faisant suite au « large consensus des scientifiques » et à la très grande précision chiffrée des prédictions d’Apocalypse. Dans la partie « Les luttes » de la même page, le jury retrouve avec le plus grand plaisir l’« Appel contre les crimes climatiques », récompensé en semaine 35 avant d’être brillamment élu champion d’été avec un score de république bananière.
Il convient donc une nouvelle fois de se réjouir que le Premier ministre de la France Éternelle qui Guide et Inspire le Monde et l’Univers ait eu la Grâce de choisir les dérèglements climatiques comme Grande Cause Nationale 2015 : de la sorte, la Télévision d’État peut diffuser les spots d’une association qui criminalise les opinions divergentes et appelle à rompre avec les principes de notre République « renouveler la démocratie ». Les Français peuvent décidément être fiers de ce que devient leur pays.
Gaël Derive, qui sévit de manière hebdomadaire dans Le Point, affiche son extrême pessimisme pour l’avenir de la planète. Pour nous convaincre que son inquiétude est légitime, plus que celle du quidam moyen en tous cas, il débute par un argument d’autorité, une anaphore au ton très présidentiel « Moi le scientifique, moi l’explorateur, moi l’expert », qui à défaut du reste, nous convainc au moins que le réchauffement ne fait pas dégonfler les baudruches. Par contre, le réchauffement a bien d’autres conséquences, que l’auteur, de retour de ses pérégrinations, nous livre dans un Storytelling propre à faire pleurer la ménagère de moins de 50 ans, mais dont la démarche scientifique peut apparaître limitée pour un expert de son envergure :
« [Le réchauffement satanique] modifie les périodes d’accès à la banquise pour la famille de Jeannie, en Arctique. Il accentue les inondations dans le village de Donildo, au Brésil. Il conditionne les ressources en eau potable de Karakaua, aux Kiribati. Il réduit le rendement des rizières de Nipa, au Bangladesh. Il affecte la culture des pommes de terre de Tsering, au Népal. »
Un petit crochet par sa page Wikipédia nous informe que « Gaël Derive, Docteur es Sciences, est un spécialiste du climat qui a travaillé avec le CNRS, l’INRA et l’OMM ». Certes, s’il a publié quelques livres pour déplorer le réchauffement climatique, on ne trouve en revanche nulle trace de publications avec comité de lecture et tout le tintouin. Mais tout de même : quelqu’un « qui a travaillé avec le CNRS », ça a quand même une autre gueule qu’un Claude Allègre, par exemple, qui lui n’est qu’à peine Académicien, lauréat du prix Crafoord, l’équivalent du prix Nobel en Géochimie, et tout juste médaille d’or du CNRS. Bravo au Point, donc, de savoir reconnaître que la compétence scientifique se mesure avant tout à l’aptitude à aller en pèlerinage voir fondre la banquise d’Arctique ou assister à la baisse des rendements de riz du Bangladesh.
L’Obs nous rapporte que l’armée peaufine ses stratégies pour s’adapter au réchauffement climatique. À l’initiative de la sénatrice EELV Leila Aïchi, le chef d’état-major des armées a rencontré un consultant de choc, bien connu pour ses compétences pointues en questions militaires : José Bové. On espère que l’armée française a pu glaner au passage quelques tuyaux pour la prise d’assaut des McDos syriens. Une conférence sur les enjeux climatiques et la Défense s’est même tenue au ministère de la Défense. La sénatrice, qui s’avère une foudre de guerre doublée d’une géo-stratège avisée, nous a ainsi éclairés sur le conflit du Darfour :
« On nous a vendu ce conflit comme un conflit ethnique. Si on est intellectuellement honnête, c’est un conflit qui trouve ses racines dans le réchauffement climatique. »
L’honnêteté intellectuelle, voilà donc à quoi carbure EELV. Pour les conflits syriens et somaliens, évidemment, la responsabilité du réchauffement climatique a également été lourdement pointée. Pour notre sénatrice, décidément très en verve, il est même à l’origine de la piraterie en Somalie, car « 95% des pirates ou anciens pirates sont des pêcheurs ou fils de pêcheurs ». Pour ceux qui ne voient pas le rapport, tant pis : ils peuvent toujours en conclure que la montée inexorable des eaux joue plus dans la disparation des poissons que la surpêche. Pour le reste de la planète, tout est à l’avenant : Sahel (où le réchauffement va faire monter l’intégrisme islamique), Mekong, Chine… tout ce beau monde va s’entretuer à cause de l’augmentation du gaz satanique. Légère ombre au tableau toutefois, lorsque L’Obs publie un petit encart en fin d’article pour préciser que l’hypothèse est loin de faire l’unanimité, et s’autorise même, comble de l’audace, à relayer le doute d’un chercheur de l’IRIS :
« On est incapable de certifier que telle sécheresse ou tel événement est à 100% lié au réchauffement climatique. Est-ce que cela ne se serait pas produit sans changement climatique ? »
En relayant ainsi les propos d’un dangereux connard climato-sceptique, qui n’est que chercheur dans un institut stratégique et n’a donc rien d’un « spécialiste du climat » autorisé, L’Obs s’est un instant éloigné de son devoir de bonne propagande unanime et consensuelle. Le jury souhaite que ce genre de dérapage éthique ne se reproduise pas.
Enfin, dans l’optique d’une lutte climatique festive et ouverte, le jury félicite chaudement le mouvement LGBTI qui obtient un joli accessit pour son action, laquelle nous apprend que :
« La crise climatique menace en effet les LGBTI à la fois en tant qu’individus, comme tous les humains, mais aussi en tant que minorité. »
Le journaliste note certes que « l’idée d’avoir à se reconnaître comme LGBTI pour lutter contre le réchauffement climatique n’était pas d’une évidence criante », ce que le jury conteste vivement, tant la nécessité d’une action colorée arc-en-ciel parait indispensable à toute action préalable à la conférence de Paris sur le climat en décembre 2015. Sont attendues avec impatience les interventions de l’amicale des compteurs à gaz de la Communauté d’Agglomération de Montceau-les-Mines et du club de bridge de Romorantin-Lantenay. On regrette que les ateliers de macramé et les clubs d’escrime artistique ne se sentent pas davantage engagés dans le combat pour un futur décarboné et durable.
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