Par Pierre de Lauzun.
Le réchauffement climatique est aujourd’hui, semble-t-il, au cœur des préoccupations des dirigeants politiques, économiques et religieux de la planète. Et à moins de deux mois de la conférence de l’ONU sur le climat (COP21), les initiatives se multiplient. Pékin a ainsi annoncé la création d’un marché unique du carbone en Chine. Un message fort de la part du premier émetteur de CO2 au monde. L’occasion d’évoquer ce que peut être la contribution de la finance et du marché à cette cause majeure.
Les signaux montrant l’ampleur du réchauffement climatique, son origine humaine, et ses conséquences potentiellement catastrophiques sur notre planète, sont suffisamment nombreux et confortés par les avis d’experts, pour nous conduire à agir sans attendre afin de réduire énergiquement nos émissions de CO2.
Par quels moyens ?
On peut agir par les normes : on fixe alors un plafond d’émission, par exemple pour chaque équipement ou pour chaque moyen de transport. Mais de telles normes, coûteuses et difficilement applicables à grande échelle, ont une efficacité restreinte. En outre rien ne prouve que le niveau choisi permette d’atteindre le résultat car rien ne garantit que le total d’émission reste dans la limite voulue. Ou, au contraire, qu’on ne restreigne excessivement l’activité si la norme est trop stricte.
De même avec une taxe, genre taxe carbone sur les carburants. Le gouvernement détermine un prix cible du carbone et introduit une taxe dans le prix payé par le consommateur. Mais comme pour les normes il est difficile pour des pouvoirs publics de fixer un prix qui soit juste sans se tromper au vu du très grand nombre d’acteurs concernés et de la masse d’informations, souvent très technique, à collecter et à étudier… d’où le risque inévitable d’en faire trop ou trop peu.
Comment fixer le prix du carbone ?
D’où la solution de marché. Pour limiter le réchauffement climatique, la mise en place d’un prix du carbone est une arme bien plus efficace. Son principe est simple : on fixe un montant maximum d’émissions jugé acceptable, et sur cette base on vend des droits, traités sur un marché. Ce qui veut dire que chaque entité ou acteur économique émettant du carbone doit en payer le prix, selon le principe du pollueur payeur. Comme avec une taxe ; mais ici on est sûr de ne rendre possible que le total d’émissions jugé acceptable. Si l’activité est forte, chaque utilisateur devra payer plus cher, mais au total on ne polluera pas plus. Le coût supplémentaire incitera l’émetteur de carbone à réduire ses émissions.
Concrètement le marché du carbone est le lieu où se négocient et s’échangent des quotas d’émission de gaz à effet de serre. Le marché fixe un prix aux droits à émettre ces gaz. Le prix du carbone est déterminé, comme dans tout marché, par le jeu de l’offre et de la demande, autrement dit par l’interaction entre les différents acteurs, acheteurs et vendeurs, l’émetteur primaire étant public. Bien entendu le rôle des pouvoirs publics est central puisqu’ils fixent les limites d’émission de gaz (quotas), organisent et surveillent le marché, et sanctionnent ceux qui ne respectent pas les règles.
Le marché paraît donc clairement être la meilleure solution pour déterminer un prix du carbone. C’est un outil incontournable au service de la lutte contre le réchauffement climatique.
Le Protocole de Kyoto de 1997 avait d’ailleurs misé sur cette solution. Ce fut la voie choisie par l’Europe par une directive de 2003 (entrée en application en 2005) et par de plus en plus de pays, dont la Chine tout récemment et une partie des États-Unis, ces deux pays représentant plus de 40% des émissions mondiales de CO2.
Encore faut-il se donner les moyens de réussir, ce que n’a pas fait l’Europe. Son marché a connu plusieurs dysfonctionnements très graves. Elle a été d’abord trop généreuse dans sa distribution des quotas ; en outre elle n’a pas su anticiper la crise, et le prix du carbone s’est effondré. Or, pour être dissuasif, ce prix doit être assez élevé (autour de 30 euros la tonne de CO2 selon les experts). Et surtout, plusieurs scandales ont entaché son image : fraude à la TVA en 2009, vol de permis d’émission dans plusieurs pays en 2011… Pour y répondre, une réforme structurelle du marché européen des quotas de CO2 est aujourd’hui en cours. Mais ces mésaventures ne signifient pas que le marché serait peu efficace. Dans le cas européen c’est le manque de régulation et le mauvais fonctionnement qui ont vicié l’outil.
Le prix du carbone est un des enjeux clés de la COP 21
Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014 a rappelé, avec bien d’autres économistes, que le prix du carbone est la seule véritable incitation à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Bien sûr l’instauration d’un marché mondial du carbone – et donc d’un prix unique – serait le but ultime. Mais il est probable que cet objectif ne pourra être atteint que sur le long terme.
Cela n’empêche pas d’agir, dès maintenant, en utilisant l’outil le plus efficace : le marché, sur une base régionale. Il ne s’agit en aucun cas de s’en remettre à on ne sait quel ajustement automatique ou main invisible spontanée. Bien au contraire, le marché en question est par nature entièrement organisé et normé par les pouvoirs publics. C’est donc un cas exemplaire de coopération entre le marché et l’action publique.
La lutte contre le réchauffement est l’affaire de tous et la finance peut et doit apporter sa contribution et son engagement actif dans ce combat. Les marchés carbone sont l’illustration la plus directe de cette contribution. Mais on peut citer aussi le développement de l’ISR, ou les obligations vertes, qui reposent sur un comportement exigeant et responsable de la part des investisseurs. Autant d’initiatives qui se multiplient et que les pouvoirs publics doivent accompagner et encourager. Loin des chimères d’une taxe européenne sur les transactions financières, taxe inefficace qui ne pourrait de toute façon jamais financer une telle cause, ni une autre d’ailleurs, comme j’ai déjà eu maintes fois l’occasion de le souligner.